Mardi 30 novembre 1965
Le dossier
Le dossier d’embauche de mademoiselle Stella Chernak. Une formalité routinière qui permet de couvrir l’administration de l’hôpital de Peyton Place. Une formalité, dérobée secrètement par Betty Anderson et donnée à Steven Cord au nom de la défense de Rodney Harrington.
Dans son bureau, Steven fait une photocopie du dossier personnel de Stella.
Betty regarde Steven faire les photographies. L’avocat espère trouver quelque chose contre Stella qui pourrait desservir son témoignage.
Betty l’informe que Russ Gehring lui a dit que Stella va probablement envoyer Rodney en prison à cause de son témoignage.
Steven lui répond que si Rodney est en train de se noyer et que quelqu’un se propose de le tirer de là, il demandera à voir son insigne de secouriste.
À l’hôpital, Michael entre dans le bureau de l’infirmière Choate.
— Oh, mademoiselle Choate.
— Docteur Rossi, j’ai entendu dire que vous me cherchiez.
— Oui. Oui. Voulez-vous…
Il avise soudain un bouquet de fleurs dressé sur le bureau.
— Oh, quel beau bouquet, mademoiselle Choate !
— N’est-ce pas. Madame Adams l’a offert après sa sortie.
— Eh bien, voilà une bien belle pensée.
— C’est bon de se savoir apprécier.
— Oui. Pourriez-vous me donner le dossier personnel de Stella Chernak, s’il vous plaît ?
Pendant qu’elle cherche le dossier dans l’armoire, Mike s’extasie sur les fleurs :
— Les œillets me font toujours penser à l’homme avec qui j’étudiais à New York, le Dr Zeitner. Il avait dans les soixante-dix ans, et chaque matin, sa femme avait l’habitude d’enfiler un œillet sur le costume de son mari. Il disait que les œillets lui rappelaient que chaque jour était un nouveau jour, avec de fraîches et passionnantes possibilités.
— Ce devait être un homme charmant, affirme Choate.
— Oh oui, il l’était !
L’infirmière tend le dossier à Mike.
— Voilà.
— Merci… Euh, est-ce que mademoiselle Chernak avait rempli un formulaire qui listait sa carrière ?
Choate opine :
— Oui, il doit être dans le dossier.
Le médecin le feuillette.
— Il y a le formulaire d’assurance sociale, le formulaire de demande d’emploi, le dossier médical personnel, mais je ne vois aucune trace de l’historique de sa carrière.
— Le comité a pourtant bien approuvé le personnel pour votre projet ?
— Oui.
— Eh bien, il est possible qu’un des membres du comité ait voulu revoir ses qualifications. Si vous en avez besoin de suite, je peux aller voir s’il se trouve au secrétariat du comité.
— Eh bien, oui. Prévenez-moi quand vous l’aurez.
Mademoiselle Choate pointe son regard vers les œillets.
— En voulez-vous un pour votre costume, docteur ?
— J’ai bien peur que cela ne soit pas dans mon caractère, mademoiselle Choate. Merci.
Il s’en va. Choate prend le téléphone.
— Oui. Mademoiselle Choate à l’appareil. Pouvez-vous demander à Evelyn si le comité a réquisitionné le curriculum vitae de Stella Chernak ? Oui, j’attends… Chernak. C-H-E-R-N-A-K.
Choate sort de son bureau, situé derrière le comptoir du bureau des renseignements, et demande à Betty de retrouver le CV personnel de Stella le plus vite possible. Elle en profite pour lui dire qu’elle est une nouvelle fois en retard pour prendre le service.
Russ Gehring se dirige vers elles et demande à Choate si elle a trouvé une remplaçante à Marian Fowler pour la séance de thérapie des enfants. Choate lui répond que non. Cependant, elle est libre à quatre heures et serait ravie de servir de remplaçante.
Choate s’en va et Russ, ironiquement, dit à Betty que les enfants seront là pour le petit plaisir de quatre heures : une heure de glace sans crème. Betty rit de bon cœur à cette plaisanterie sur mademoiselle Choate.
Eli et Elliot rendent visite à Allison dans sa chambre d’hôpital. Ils regardent la jeune fille toujours dans le coma.
— On peut y aller maintenant, Elliot ?
— Dans une minute, Papa.
— Tu ne peux rien faire, soupire Eli. Il faut laisser le temps au temps.
— Je pense toujours que si je la regarde avec intensité, elle va se réveiller et me voir debout ici. J’ai tellement peur qu’elle ne se réveille pas.
— Allons-y.
Russ Gerhing entre.
— Bonjour messieurs. Vous êtes ici depuis longtemps ?
— Seulement quelques minutes.
— Avez-vous noté quelques mouvements chez elle ? s’enquiert le thérapeute.
Elliot secoue la tête.
— Non.
— J’ai lu votre édito dans le Clarion, monsieur Carson. Vous êtes un bon écrivain. Je me suis demandé si vous avez eu des réponses à cette lettre ouverte. Est-ce que la police a découvert quelque chose ?
— Non. Rien.
Russ s’occupe de faire des exercices pour stimuler les muscles d’Allison.
— Est-ce qu’elle peut sentir cela ? interroge Elliot.
— Sentir ? Vous devez redéfinir vos termes. Elle n’est pas consciente de ça.
— Je me sens tellement impuissant, si seulement je pouvais faire quelque chose comme ça. Qu’est-ce que cela demande ?
— Dans mon cas, une maîtrise en science.
— Ça ne me paraît pas si difficile que ça.
— C’est ce que vous croyez. Il faut de l’habilité. Laissez-moi maintenant. Je ne suis pas qualifié pour vous apprendre quoi que ce soit. Vous n’avez aucune idée de notre métier. Le cerveau humain est la partie la plus compliquée de la machine humaine.
Eli intervient :
— Elliot, je pense que nous devrions laisser Mr Gehring à son travail. Je suis sûr qu’il a encore d’autres patients à voir.
Ils quittent la pièce et se retrouvent dans le couloir. Eli perçoit de l’agacement chez son fils.
— Elliot, qu’est-ce qui ne va pas ?
— Je ne veux pas que cet homme s’occupe de ma fille.
— Elliot, nous sommes dans un hôpital ici. Monsieur Gehring connaît son travail. C’est un médecin. Un professionnel dans tous les sens du terme. Nous devrions être heureux qu’il soit ici.
— Je ne sais pas. Peut-être. Je suis peut-être un peu surprotecteur envers Allison.
Le Dr Rossi se dirige vers le bureau des renseignements et demande à Betty si elle a trouvé le dossier de Stella. Elle répond que non.
Betty rappelle à Choate qu’elle doit aller assister le Dr Gehring en rééducation. Choate la remercie et s’en va.
Une infirmière prend la relève de Betty aux renseignements. Le Dr Morton est demandé sur la ligne 2. Betty se faufile dans le bureau de Choate et ouvre l’armoire où se trouvent les dossiers.
Mademoiselle Choate, ayant oublié quelque chose, retourne à son bureau et surprend en flagrant délit Betty replacer le dossier de Stella à sa place.
Choate accuse Betty d’avoir dérobé le dossier. Betty l’admet facilement. Choate réalise qu’elle a fait cela pour Rodney. Elle ne lui en veut pas. L’infirmière en chef se laisse aller à des confidences, elle dit à Betty qu’elle n’a jamais eu de relation dans sa vie, parce qu’elle a fait passer sa carrière avant. Elle a un chien, qui devient vieux. Depuis le début de sa carrière, elle a eu trois chiens qu’elle a nommés du même nom. Elle comprend que ce que Betty a fait, elle l’a fait parce qu’elle tient à Rodney.
Elle dit finalement à Betty qu’elle est obligée de rapporter au Dr Rossi ce qu’elle a fait.
Steven travaille à son bureau. Il saisit le combiné du téléphone pour joindre sa secrétaire.
— Ann, voudriez-vous venir, s’il vous plaît ?
— Oui, monsieur.
Ann entre dans le bureau.
— Aucun appel de Los Angeles ? demande l’avocat.
— J’ai eu l’opérateur en ligne il y a cinq minutes à peine. Monsieur Lawrence n’est pas encore revenu.
— Bien, Ann, tenez-moi au courant. Qu’en est-il de l’entête de lettre ?
— Tout est prêt. J’ai placé Theodore Dowell, avocat à la Cour en bas, au-dessous de votre nom.
— C’est parfait, dit Steven d’un ton satisfait. Voilà le vrai nom de la firme.
Le téléphone sonne. Steven décroche.
— Allô.
— Monsieur Cord s’il vous plaît, demande la voix de l’opérateur.
— C’est moi.
— Monsieur Lawrence répond à votre appel, monsieur.
— Oh, oui. Passez-le-moi.
Il remercie Ann qui retourne à son bureau.
— Allô, fait la voix de Lawrence.
— Monsieur Lawrence ?
— Lui-même.
— Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi. Je vous avais contacté l’année dernière. J’étais chez Wainwright et Kennerly.
— Oh oui. Êtes-vous toujours chez eux ?
— Non, je suis parti il y a quelques mois pour rejoindre Theodore Dowell. Actuellement, je suis chargé d’une défense dans un procès pour meurtre.
— Le petit-fils de Martin Peyton ?
— C’est exact. Le petit-fils de Martin Peyton. J’aimerais que vous enquêtiez sur le principal témoin à charge.
— Un compte rendu minutieux ?
— Tout à fait. Où elle travaillait. Avec qui elle travaillait. Sur quoi elle travaillait. Tout ce que vous pouvez trouver. Je vous envoie les minutes de l’audience préliminaire dès demain.
— J’y jetterai un œil.
— Comprenons-nous bien. Si vous découvrez n’importe quoi de nature personnelle, n’importe quoi, assurez-vous de bien creuser.
— Nous sommes d’accord. Plus c’est personnel, mieux c’est.
— Oui.
— Au revoir, monsieur Cord.
— Au revoir.
Michael entre dans son bureau et s’entretient avec Stella. Esther Choate frappe à la porte et entre dans le bureau.
Elle demande à Stella de l’excuser un moment, car elle voudrait parler en privé avec le Dr Rossi.
Stella quitte le bureau. Mademoiselle Choate rapporte à Michael qu’elle a vu Betty replacer le dossier de Stella manquant.
Elle en profite pour ajouter qu’elle s’est toujours opposée à l’embauche de Betty dans cet hôpital, mais que pour cette fois, elle demande l’indulgence du Dr Rossi pour cet acte.
Michael la remercie et lui dit qu’il va réfléchir au problème.
Russ Gehring gare sa décapotable près du tribunal et, près de l’entrée du bâtiment, interpelle John Fowler.
— Monsieur Fowler ?
— Oui ?
— Russ Gerhing. Je travaille à l’hôpital de Peyton Place. Je m’occupe de la rééducation des enfants.
— Oui, bien sûr, ma femme m’a parlé de vous. Elle travaille dans votre service, il me semble.
— Oui. Les enfants me demandent de ses nouvelles. Mais je n’ai aucune réponse à leur donner.
— Euh… Elle est à Boston, elle rend visite à sa sœur.
— Compte-t-elle revenir bientôt ?
— En fait, elle a décidé de prendre un peu de repos. Elle était un peu surmenée ces derniers temps.
— Oh, je suis désolé pour elle. Rien de sérieux, j’espère.
— Non, je ne pense pas. Si vous voulez bien m’excuser, monsieur Gehring. J’ai une longue nuit de travail devant moi et mon dîner risque de refroidir.
— Je n’ai pas l’intention de vous retarder. Les enfants aiment tellement madame Fowler. Et elle ne leur a pas dit qu’elle partait quelque temps. Pensez-vous qu’elle reviendra à l’hôpital une fois de retour ici ?
— Je n’en sais vraiment rien. Elle n’a rien dit à ce propos.
— Je vois. Peut-être pourriez-vous me faire une faveur ? J’essaie de faire travailler les enfants avec leurs mains le plus possible. Parce que madame Fowler leur manque tellement, je leur ai fait écrire une lettre à son attention. C’est un bon exercice pour eux. Je pense qu’elle apprécierait la recevoir.
— J’en suis sûr, opine John.
— Dans ce cas, pourrais-je avoir son adresse ?
— Numéro 11 Greentree Road, Boston. Le nom de famille de la sœur de Marian est Sloan.
— Sloan. Merci.
— Je vous en prie.
Russ retourne dans sa voiture, tandis que John monte à son bureau. Il entre dans le bureau de sa secrétaire, qui se bat avec l’encre d’un stylo.
— Aucun appel ?
— Monsieur Haslett.
— Qui ?
— Le journal officiel.
— Oh, oui. Rien d’autre ?
— Non. Monsieur Carter veut vous parler à propos du témoin à charge dans l’affaire des narcotiques de l’année dernière.
— Vous êtes vraiment sûre qu’il n’y a pas eu d’appel de Boston ?
— Oui, monsieur.
— Bien. Ce sera tout. Vous pouvez partir.
La secrétaire s’en va.
John soupire et compose le numéro de l’opératrice.
— Je voudrai un numéro à Boston. Hancock 6-7788.
Phyllis Sloan répond.
— Allô.
— Bonjour, Phyllis.
— John, comment vas-tu ?
— Oh…bien. Pourrais-tu me passer Marian ?
— Marian ? Mais elle n’est pas ici, John.
— Tu veux dire qu’elle est sortie ?
— John, je n’ai pas vu Marian depuis des semaines.
— Tu ne me fais pas marcher, n’est-ce pas ?
— Pas en ce qui concerne ma sœur préférée.
— Je pensais juste qu’elle était chez toi.
— L’aurais-tu envoyée ici avec de l’argent de poche pour faire du shopping ?
— C’est exact, ment le procureur.
— Eh bien, je suppose qu’elle va sans doute passer me voir.
— En fait, je ne pense pas qu’elle aura le temps.
— Elle m’appelle toujours depuis la station de bus lorsqu’elle vient à Boston.
— Phyllis…
— Je connais bien ma sœur. Elle ne sera pas capable de résister au plaisir de me montrer ce qu’elle a acheté.
— Je ne compterais pas trop dessus, si j’étais à ta place.
— John…
— Je dois y aller, Phyllis. Au revoir.
Il raccroche sans que Phyllis ait eu le temps de répondre.




